Les salaires de la pub – Etude 2012

Les salaires de la publicité

LES SALAIRES DE LA PUB

28/06/2012 – par Gilles Wybo

Combien gagne un concepteur-rédacteur ou un directeur de la création? Une étude exclusive, réalisée par Shefferd pour Stratégies, nous révèle les salaires en agence. De fortes disparités existent au sein des groupes.

Quel secret est mieux gardé que la recette du Coca-Cola? Les niveaux de salaires des salariés des agences de publicité. D’ailleurs, la plupart des directeurs des ressources humaines (DRH) sollicités ont poliment décliné nos demandes d’interview. Heureusement le cabinet Shefferd a mené pour nous une enquête – anonyme cette fois – auprès des agences, et les résultats sont intéressants: un concepteur-rédacteur confirmé a un salaire médian de 49 900 euros, un directeur de la création, de 110 900 euros…

En revanche, pour les agences, parler à visage découvert de leurs pratiques de salaire, cela reviendrait à livrer une information trop stratégique, trop sensible et risquerait de faire l’effet d’une bombe en interne (voir encadré ci-joint) comme en externe. «Si le sujet est tabou dans notre univers, c’est parce que les pyramides salariales sont souvent très fines: il y a tout en haut quelques personnes qui gagnent beaucoup d’argent et en bas de très nombreux juniors mal payés, avance Thomas Parouty, directeur de l’agence Mieux, une petite structure de dix salariés. Parfois, le ratio peut aller de 1 à 50.»  Loin des écarts de 1 à 20 qu’exige le chef de l’Etat dans les entreprises publiques…

Et dans le cas d’une société de conseil, cela peut être problématique d’afficher des salaires trop élevées vis-à-vis du client: ce dernier aura toujours l’impression de les payer d’une manière ou une autre. Ces excès ont même poussé l’Association pour une communication plus responsable à émettre des recommandations: «Nous plaidons pour un écart maximal de 1 à 7 entre le plus bas et le plus haut salaire, explique Laurent Terrisse, l’un des cofondateurs de l’organisme et président de l’agence Limite. Quitte à offrir des compléments de rémunération autres pour continuer à attirer des profils exceptionnels: un intéressement plus important, une entrée dans le capital…» A moins que ce ne soit le marché lui-même qui change les règles du jeu.
Car si des écarts hors normes perdurent pour les salariés en poste, la tendance est plutôt au retour à la normale du côté de la fiche de paie des nouveaux embauchés. «Aujourd’hui, j’arrive à faire rentrer tous les candidats – des débutants aux très confirmés – dans mes grilles de rémunération, qui n’ont d’ailleurs pas changé depuis l’année dernière, précise Ange Michelozzi, DRH de Fullsix. Jusqu’à l’an passé, il pouvait y avoir des dépassements mais, depuis, les salaires se sont stabilisés, même sur les fonctions créatives. D’ailleurs aujourd’hui pour les agences il devient compliqué de se payer des stars.»

L’une des explications tiendrait au durcissement des compétitions: «La concurrence entre agences est plus acharnée en 2012, et dans le même temps les budgets seraient inférieurs de 30% en moyenne par rapport à 2010», explique Marc de Torquat, directeur du cabinet Firebrand. Avec des marges plus faibles, impossible de se lancer dans un «mercato» fou. Autre signe que le rapport de force est plutôt en faveur des entreprises en ce moment, selon les recruteurs il y a beaucoup de directeurs artistiques (DA) et de directeurs de création (DC) au chômage, et ils ont du mal à retrouver un poste avec le même niveau de rémunération. Bien sûr, les DA ou DC apportant une plus-value susceptible d’engranger de nouveaux budgets et capables de le prouver se paieront toujours plus chers.«Tout comme un directeur du planning qui, gérant des budgets de A à Z, sera mieux payé en faisant économiser de l’argent à l’agence et en dénichant des prestataires meilleur marché», dit le DRH de Fullsix.
Mais la tendance générale est au profil bas. Les candidats eux-mêmes semblent se plier à cette nouvelle configuration: «Avant, en entretien d’embauche, un chef de projet débutant tenait un discours de ce type: “Mon école m’a dit que je gagnerai tant et je n’accepterai pas moins”, reconnaît un recruteur. Maintenant, leur établissement leur donne comme unique consigne de trouver un contrat à durée indéterminée.»
Jean Valentin, le PDG du groupe Extrême, date l’aggravation de la situation à avril dernier et la corrèle à l’attentisme pré-électoral: «Depuis cette période, nous recevons davantage de candidatures spontanées et les postulants sont beaucoup plus souples dans leurs exigences.» 
Une fois n’est pas coutume, le digital n’est pas totalement à l’abri de ce retournement: «Le community management avait le vent en poupe en 2011, aujourd’hui le marché s’est bien adapté, il y a beaucoup de profils disponibles pour ce type de fonctions. Du coup, les prétentions salariales se sont calmées», poursuit Ange Michelozzi.
L’exception à la règle, sans doute, car les autres métiers du digital constituent plutôt la principale poche de résistance à la rigueur salariale. Les métiers liés au contenu de marque par exemple seraient un peu survalorisés, comme d’autres fonctions plus traditionnelles. «Un directeur de clientèle dans le digital sera payé 20% plus cher que son équivalent dans les marketing services», constate Jean Valentin.
Discours à l’identique du côté de Thomas Parouty: «Comme nous sommes une petite société, nous avons de besoin de recruter et sommes prêts à payer autant qu’une grande, même un peu plus, pour de bons experts du Web, en particulier sur des fonctions de chef de projet ou de consultant Internet.» Même si le patron veille à ne pas créer trop de disparités entre les fiches de paie: «J’enchéris dans la limite du respect des salaires des autres, je ne veux pas qu’un collaborateur gagne 20% de plus que son voisin de bureau pour le même travail.» Autre compétence qui peut doper le salaire: l’envergure internationale. Pour cette expertise-là, les agences sont prêtes à casser leur tirelire.

Performance individuelle

Qu’ils aient un parcours franco-français, ou étudié à l’autre bout du monde, les stagiaires voient leur sort un peu s’améliorer, selon les dirigeants d’agence que nous avons interrogés.

Là encore, l’association pour une communication plus responsable avait émis des recommandations sur leur traitement: «Nous pensons qu’ils doivent gagner entre 80 et 100% du Smic, juge Laurent Terrisse. D’ailleurs chez Limite, ils perçoivent 1 050 euros bruts.» Les stagiaires employés cet été sur la péniche de l’agence Mieux toucheront, eux, 800 euros par mois. Enfin, chez Fullsix, les indemnités de stage ont également été un peu rehaussées, mais surtout les stagiaires seront mieux traités s’ils sont embauchés par la suite: au lieu de toucher le salaire minimal de 25 000 euros annuels, les nouvelles recrues ayant fait un stage significatif chez Fullsix gagneront 27 500 euros.
Autre caractéristique des agences de publicité en termes de rémunération, une propension quasi systématique à gratifier la performance individuelle plutôt que collective. Ainsi, pour fidéliser leurs collaborateurs, seules 16% des entreprises interrogées optent pour la participation, l’intéressement ou le treizième mois. En revanche, 57% des agences privilégient les primes discrétionnaires. Et 33% les stock-options. Tout en haut de la pyramide, bien sûr, c’est souvent la règle. Même s’il est presque impossible d’obtenir des informations sur la rémunération du comité de direction: des données classées «secret défense».

Seule exception: les agences cotées, qui sont contraintes à la transparence. Ainsi le rapport annuel d’Havas pour 2011 nous apprend que la rémunération annuelle fixe de Mercedes Erra, directrice de BETC et présidente d’Euro RSCG Worldwide ou de Jacques Séguéla, vice-président et chief creative officer d’Havas, s’établit à 900 000 euros. Il faut y ajouter 450 000 euros de variable pour la première et 150 000 pour le second. Des niveaux stratosphériques, qui rappelle un peu la dimension hors norme des 16 millions d’euros de bonus (exceptionnel) que le président de Publicis, Maurice Levy, a touché au printemps. Dans un cas comme dans l’autre, on est un peu loin du ratio de 1 à 7, prôné par l’association pour une communication plus responsable…

Méthodologie

Enquête réalisée par le cabinet de recrutement Firebrand entre mai et juin 2012 auprès de 45 agences, ayant déclaré les rémunérations de leurs 5 704 collaborateurs au 30 avril dernier. Des entreprises de toutes tailles font partie du panel: de moins de 10 à plus de 250 salariés. Les données présentées correspondent aux salaires médians (la moitié des salariés interrogés gagnent moins, et l’autre moitié plus que la médiane). Il s’agit des salaires bruts annuels.

« De 70 000 à 300 000 euros pour un directeur de la création »

Marc de Torquat, directeur du cabinet Firebrand, auteur de l’enquête salaire

Pourquoi parler d’argent est-il compliqué pour les agences de publicité ?

Marc de Torquat. La guerre des talents est très forte entre agences, car ce sont ces compétences qui vont permettre de gagner les compétitions. Du coup, les entreprises n’hésitent pas avoir des grilles de salaire élastiques pour acquérir ces profils talentueux, et il peut y avoir de grosses disparités de rémunération dans une même structure. Ce qui est délicat à avouer et à assumer. Dans les grands groupes où les filiales sont spécialisées, la question est encore plus sensible car, à fonction équivalente, il peut exister des disparités de traitement importantes. Dans les plus petites agences, cette question s’avère moins délicate.

Les rémunérations des créatifs sont-elles extravagantes ?

M. de T. Comparer les rémunérations de ces profils reste un exercice très délicat tant les critères d’évaluation de la créativité se révèlent subjectifs. Pour autant, toutes les agences payent et valorisent toujours la créativité comme la compétence absolue dans la publicité. Et si cela ne descend jamais très bas, en revanche, cela peut monter très haut. Ainsi un directeur de la création peut percevoir une rémunération de 70 000 euros dans une agence événementielle de moins de 80 personnes et jusqu’à 300 000 euros, voire plus, dans une grande agence de publicité.

Et du côté commercial ?

M. de T. Les compétences commerciales en agences sont très recherchées, et particulièrement celle de responsable du « business development ». Actuellement, il y a une véritable guerre pour remporter les compétitions, et sur ces fonctions les recrutements sont en hausse de 30 % depuis le début de l’année. La rémunération en profite aussi.